Ghassan, un réfugié syrien de 26 ans, mène une existence précaire et incertaine au Liban.

 

 

Lui et son frère Ayed (40 ans) ont fui la Syrie en 2012 quand le pays a commencé à sombrer dans la guerre civile.

 

 

Ils se sont enregistrés en tant que réfugiés syriens auprès du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR), ce qui devait garantir leur statut au Liban.

 

 

Cependant, Ayed a été expulsé de force par l’armée libanaise du camp de Qab Elias, dans la Bekaa occidentale, le 26 avril, et remis aux forces syriennes, qui l’ont enrôlé dans le service militaire obligatoire contre son gré.

 

 

Ghassan rapporte à Middle East Eye que, le jour de l’expulsion d’Ayed vers la Syrie, il a parlé avec l’épouse de ce dernier qui l’a informé que celui-ci avait été placé dans l’une des brigades syriennes de la quatrième division près de la frontière libanaise.

 

 

Un officier de l’armée syrienne lui a demandé 200 dollars pour aider Ayed à s’échapper.

 

 

Mais Ghassan avait déjà entendu ce genre d’histoire.

 

 

« Quand elle m’a dit ça, je l’ai convaincue qu’il mentait. Le père de ma femme, Bushra, a été arrêté en 2013. Les autorités syriennes ont exigé de l’argent pour sa libération, et la famille de ma femme a payé plus de 1 000 dollars, mais ils ne l’ont pas libéré », raconte-t-il.

 

 

« Plus tard, nous avons découvert qu’il avait été tué dans la prison de Sednaya, d’une balle dans le front, grâce à des photos divulguées de l’exposition César, qui ont révélé des preuves de torture et de morts dans les prisons syriennes. »

 

 

N’ayant aucun moyen d’aider son frère, Ghassan a posté une vidéo sur TikTok lançant un appel à la communauté internationale.

 

 

Cependant, il a été menacé et a dû chercher refuge dans le nord du Liban, affirmant qu’il y avait des individus alignés sur le régime syrien qui agissaient comme informateurs dans les camps.

 

 

« J’ai peur. Je ne veux pas perdre mes enfants et ma mère à cause de mes paroles. Je suis fatigué. Je ne supporte plus cette situation et la peur d’être expulsé », confie-t-il.

 

 

MEE n’a pas pu vérifier de manière indépendante la déclaration de Ghassan sur la présence d’informateurs.

 

 

Syriens expulsés

 

 

Au cours des derniers mois, le Liban a intensifié les raids visant à rapatrier les réfugiés syriens, motivé par une hostilité croissante à l’encontre des réfugiés au sein de la société libanaise.

 

 

On estime que le Liban accueille environ 1,5 million de réfugiés syriens, dont environ 805 000 officiellement enregistrés auprès du HCR, qui les aide indifféremment de leur statut.

 

 

Malgré la promesse du gouvernement de ne renvoyer que les réfugiés syriens entrés illégalement, des preuves montrent que les expulsions incluent à la fois des réfugiés enregistrés et non enregistrés.

 

 

Une Syrienne marche entre les tentes d’un camp de réfugiés à Saadnayel, dans la vallée de la Bekaa, dans l’est du Liban, le 13 juin 2023 (AFP)
Une Syrienne marche entre les tentes d’un camp de réfugiés à Saadnayel, dans la vallée de la Bekaa, dans l’est du Liban, le 13 juin 2023 (AFP)

Ayed s’est enregistré auprès du HCR en 2013, mais a été renvoyé de force dans son pays malgré sa situation juridique.

 

 

Selon Paula Barrachina Esteban, porte-parole du HCR au Liban, au moins 93 raids ont été confirmés entre avril et début mai. Selon certaines informations relayées, des Syriens ont été détenus et expulsés.

 

 

« Le HCR prend très au sérieux les rapports sur les expulsions de réfugiés syriens et en assure le suivi avec les parties prenantes concernées », écrit-elle dans un email.

Elle ajoute que le HCR défend les principes du droit international et la protection des réfugiés au Liban, y compris l’interdiction du refoulement ou du retour forcé.

 

 

Le HCR encourage également la réinstallation dans des pays tiers en tant que solution. En 2022, environ 8 300 réfugiés ont été réinstallés depuis le Liban, ce qui représente 40 % des dossiers de la région Moyen-Orient et Afrique du Nord (MENA) et 8 % dans le monde.

 

 

Interrogé par MEE, un travailleur humanitaire, qui préfère ne pas révéler son nom car il n’est pas autorisé à parler à la presse, estime qu’au moins 2 137 personnes ont été arrêtées lors de récents raids et aux postes de contrôle. En outre, 1 473 expulsions du Liban vers la Syrie ont eu lieu au cours des derniers mois.

 

 

Cette source révèle aussi que, bien que le bureau de la Sûreté générale du Liban soit censé effectuer les opérations, ce sont les forces armées libanaises qui les mènent.

 

 

« Le HCR a conscience du nombre croissant d’expulsions sommaires en groupe et de signalements de familles séparées, y compris des mineurs séparés de leur famille, et prend des mesures en apportant conseils et soutien en matière de protection aux membres de la famille des réfugiés expulsés chaque fois que cela est possible, tout en soulevant la question auprès des autorités », assure-t-il.

 

 

Peur et exploitation

 

 

La peur d’être expulsé est obsessionnelle chez Maalek (32 ans), arrivé au Liban en 2013 après avoir été arrêté en Syrie pendant son service militaire.

 

 

En 2015, il a rejoint l’Europe par bateau et est resté en Allemagne pendant dix jours, dormant dans la rue.

 

 

Cependant, il a dû retourner en Syrie pour tenter de libérer son frère Mohammad.

 

 

« Supplié par ma mère, je suis retourné en Syrie pour libérer Mohammad, mais à ma grande consternation, mon père et mon deuxième frère Ammar avaient également été arrêtés », se souvient-il.

 

 

Maalek n’a pas pu libérer son père et ses frères, alors il a tenté de retourner au Liban avec sa mère. Cependant, les autorités locales l’ont ensuite expulsé vers son pays d’origine, où les autorités syriennes l’ont arrêté une deuxième fois.

 

 

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Après avoir été détenu entre octobre 2015 et juillet 2016, les autorités syriennes ont libéré Maalek lorsqu’elles ont réalisé qu’il avait déjà été emprisonné en 2012.

 

 

Maalek est arrivé au Liban en 2018 et s’est enregistré auprès du HCR.

 

 

Cependant, il vit maintenant dans la peur constante d’être expulsé et de subir des préjudices potentiels parce qu’il pense que son frère Ammar a été tué, tandis que son père et son frère Mohammad ont été libérés.

 

 

« J’ai raconté mon histoire au HCR et exprimé ma réticence à retourner un jour en Syrie. Je suis actuellement terrifié à l’idée d’être expulsé. Je veux juste vivre en sécurité », déclare-t-il.

 

 

La décision du Liban de rapatrier les réfugiés syriens sur une base prétendument volontaire en 2022 a suscité des inquiétudes parmi les ONG internationales et locales.

 

 

Elles soutiennent que la Syrie n’est pas sûre pour le retour des réfugiés et que le Liban enfreint le principe de non-refoulement, lequel interdit de renvoyer des personnes vers un pays où elles risquent d’être torturées, soumises à des traitements cruels ou à toute autre forme de préjudice.

 

 

Mais aujourd’hui, les retours volontaires semblent se transformer en expulsions.

 

 

Fadel Fakih, directeur général du Centre libanais pour les droits de l’homme (CLDH), déclare à MEE que l’armée libanaise a arrêté et expulsé des réfugiés vers la Syrie sans contrôle judiciaire dans le cadre d’un processus officieux.

« D’un point de vue juridique, nous ne voyons pas le Liban mettre en œuvre la Convention contre la torture, dont il est signataire, et l’expulsion peut violer l’article 3 de la convention », indique-t-il.

 

 

Fadel Fakih explique que certains réfugiés expulsés sont retournés sains et saufs dans leurs familles, tandis que d’autres, comme Ayed, ont été enrôlés dans l’armée syrienne. Il souligne qu’il y a des cas de tortures et de mauvais traitements.

 

 

« Cela dépend de leur situation en Syrie et de leurs ressources financières, le montant avec lequel les réfugiés peuvent soudoyer les autorités. »

 

 

Le Syrian Network for Human Rights (SNHR), groupe de surveillance indépendant basé au Royaume-Uni, affirme à MEE avoir documenté des expulsions de militants et de transfuges poursuivis par les forces de sécurité syriennes.

 

 

Le SNHR souligne l’arrestation et la détention à Beyrouth d’un ex-capitaine de l’armée syrienne, aujourd’hui transfuge, et a documenté les ordres d’expulsion de neuf réfugiés syriens détenus par la Sûreté générale libanaise.

 

 

Les réfugiés syriens au Liban ont quelques options pour rester dans le pays et éviter l’expulsion, même si leurs conditions de vie se sont détériorées en raison de la crise économique au Liban et des politiques restrictives à leur encontre.

 

 

Les réfugiés enregistrés peuvent avoir un accès relativement plus facile au séjour régulier au Liban, mais ceux qui ne sont pas enregistrés auprès du HCR sont confrontés à plus de complications.

 

 

Ils peuvent avoir besoin de trouver un parrainage ou un emploi pour rester.

 

 

Cependant, les réfugiés syriens au Liban sont souvent victimes de discrimination lorsqu’ils tentent d’éviter l’expulsion.

 

 

Le discours anti-réfugiés a créé des tensions entre les communautés, conduisant certains propriétaires à exploiter les réfugiés en facturant des loyers gonflés en dollars américains.

 

 

Certains propriétaires expulsent même les réfugiés malgré le paiement régulier du loyer, et sans contrats signés, les réfugiés ont du mal à fournir la preuve de leur location.

 

 

En outre, des informations non vérifiées suggèrent que des pots-de-vin pourraient être échangés entre les réfugiés et les autorités locales afin d’obtenir les documents nécessaires pour rester au Liban.

 

 

« Les rues sentent la mort »

 

 

Fakih assure à MEE que le HCR ne remplit pas son rôle dans la protection des réfugiés dans le pays, car il pourrait exercer davantage de pression sur le gouvernement libanais.

 

 

Ghassan confie à MEE qu’il ne parle à son frère que lorsqu’Ayed est autorisé à passer un appel.

 

 

Mais Ghassan s’inquiète aussi pour son avenir.

 

« Le régime syrien m’a menacé. Si je suis expulsé, je serai emprisonné dans l’obscurité des prisons ou exécuté », craint-il.

 

 

Maalek exprime sa peur de mourir en Syrie et dit avoir caché certains détails de son histoire au HCR pour empêcher les autorités syriennes de les obtenir.

 

 

Il a partagé avec MEE une vidéo YouTube du massacre de Tadamon en 2013, où une quarantaine de civils ont été exécutés dans une fosse commune, pour montrer qu’il ne veut pas finir comme eux.

 

 

« Les gens à qui je parle, qui vivent en Syrie, me disent que les rues sentent la mort », rapporte-t-il.