De retour de son voyage en Israël la semaine dernière, le président américain Joe Biden s’est adressé en prime-time à ses compatriotes, mettant en garde une fois de plus contre « un point d’inflexion dans l’histoire – l’un de ces moments où nos décisions d’aujourd’hui détermineront l’avenir pour les décennies à venir ».

 

L’assaut du Hamas contre Israël le 7 octobre, a-t-il dit, « fait écho à près de vingt mois de guerre, de tragédie et de brutalité infligées au peuple ukrainien – un peuple très gravement blessé depuis que Poutine a lancé son invasion totale ».

Comme c’est souvent le cas chez de nombreux politiciens et journalistes occidentaux, les commentaires de Biden négligent le contexte pertinent et l’histoire, liant sans fondement l’attaque contre Israël à la guerre russe en Ukraine.

 

Son message est double : le Hamas et le président russe Vladimir Poutine sont de la même espèce, et le soutien inconditionnel américain à Israël doit également se poursuivre pour l’Ukraine. Selon lui, ces deux conflits sont les deux faces d’une même pièce.

 

Il formule les deux dans ses termes apocalyptiques et existentiels habituels : les démocraties affrontent les autocraties, et soit le premier l’emporte, soit « l’ordre mondial » dont nous avons bénéficié au cours des dernières décennies sera irrémédiablement perdu, inaugurant un nouvel âge des ténèbres. Gouverner les gens par la peur a toujours fonctionné, après tout.

 

De l’huile sur le feu

 

Biden demande au Congrès plus de 100 milliards de dollars pour soutenir Israël et l’Ukraine, une partie des fonds étant également destinée à contenir la Chine. Laissant de côté le dysfonctionnement actuel du Congrès américain, il esquisse la recette d’un potentiel conflit mondial qui engloberait l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie.

 

 

Dans son discours, Biden a affirmé : « Le Hamas ne représente pas le peuple palestinien. Le Hamas utilise des civils palestiniens comme boucliers humains, et des familles palestiniennes innocentes souffrent énormément à cause de lui. »

 

Les faits sont là : la dernière fois que les Palestiniens ont exprimé leur volonté par le biais d’élections libres supervisées par la communauté internationale, c’était en 2006, et le Hamas a gagné. Dix-sept ans plus tard, de nouvelles élections sont attendues depuis longtemps – mais le discours de Biden n’y a pas fait la moindre allusion. A-t-il peur des résultats potentiels ?

 

En revanche, les Israéliens ont eux voté cinq fois depuis 2019. Les résultats ont été déprimants, donnant du pouvoir au gouvernement israélien le plus à droite de tous les temps.

 

Depuis des mois, cette situation jette de l’huile sur le feu de la frustration et de l’humiliation des Palestiniens à travers d’innombrables provocations de colons et d’activistes enhardis en grande partie par deux ministres extrémistes, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich.

En ce qui concerne le Hamas qui cause des souffrances aux Palestiniens, on sait qui est en train de raser Gaza et de couper l’approvisionnement en eau, électricité et nourriture de l’enclave. Si l’on considère que Gaza a l’une des densités de population les plus élevées de la planète, la simple mention par Biden de boucliers humains frise le pur non-sens.

 

Biden note dans son discours que « Poutine nie que l’Ukraine ait ou ait jamais eu un véritable État ». Il aurait été plus honnête s’il avait également fait référence au déni de longue date par Israël d’un État palestinien.

 

Biden a complètement induit son public en erreur en assimilant l’attaque d’Israël par le Hamas à l’attaque de l’Ukraine par Poutine. Il a oublié de mentionner que dans le conflit israélo-palestinien, depuis 1967, il y a un occupant (Israël) et un occupé (le peuple palestinien).

 

Un prix à payer

 

Ainsi, le droit légitime et incontestable d’Israël à se défendre doit être contextualisé, en gardant à l’esprit qu’Israël maintient depuis des décennies une posture offensive à travers son occupation stricte des terres habitées par des Palestiniens (Cisjordanie, Jérusalem-Est et Gaza).

 

Alors que l’Ukraine, occupée par la Russie, riposte à l’intérieur des territoires russes, atteignant même Moscou, cela n’a fait sourciller personne dans les démocraties occidentales. Mais le fait que les Palestiniens fassent de même est considéré comme du « terrorisme », tandis que les représailles disproportionnées d’Israël sont considérées comme normales par les gouvernements occidentaux.

 

 

 

Le bilan humain à Gaza dépasse les 8 000 morts, dont la moitié sont des enfants, tandis qu’en Israël, le nombre de morts s’élève à 1 400. Rien ne justifie les attaques brutales perpétrées par le Hamas le 7 octobre, pas plus qu’il n’y a de justification pour soumettre tout un peuple à une occupation humiliante pendant des décennies.

 

Après avoir trompé ce même peuple américain à qui il demandera bientôt de voter à nouveau pour lui, Biden a expliqué « pourquoi s’assurer de la victoire d’Israël et de l’Ukraine est vital pour la sécurité nationale de l’Amérique ».

 

« Vous savez, l’histoire nous a appris que lorsque les terroristes ne paient pas le prix de leur terrorisme, lorsque les dictateurs ne paient pas le prix de leurs agressions, ils provoquent plus de chaos, de morts et plus de destructions. »

 

Il n’a pas mentionné de noms, mais il semblait faire allusion à Oussama ben Laden et à Adolf Hitler, et peut-être aussi à Saddam Hussein.

 

En ce qui concerne le premier, il suffit de se souvenir de la relation étroite que les services de renseignement américains entretenaient avec le magnat saoudien devenu terroriste anti-occidental en Afghanistan dans les années 1980.

En ce qui concerne le second, tout le monde est libre de penser le pire de Poutine, mais n’importe quel modeste professeur d’histoire au lycée s’opposerait à ce qu’il soit présenté comme Hitler. Les Russes ont beaucoup souffert pendant la Seconde Guerre mondiale, alors qu’aujourd’hui, certaines unités de l’armée ukrainienne utilisent des symboles nazis, ne suscitant que le silence assourdissant et hypocrite des démocraties occidentales.

 

En ce qui concerne Saddam Hussein, il convient de rappeler que la justification de la guerre en Irak de 2003 reposait sur un mensonge.

 

Dans son discours, Biden a célébré l’OTAN pour avoir « maintenu la paix en Europe » et être « la pierre angulaire de la sécurité américaine ». Mais au cours du dernier quart de siècle, l’expansion inutile de l’OTAN vers l’Est – imposée par les États-Unis – explique le conflit entre la Russie et l’Ukraine, devenu un handicap pour la sécurité européenne.

 

Faillite morale

 

En ce qui concerne Israël, son occupation persistante des terres palestiniennes et son refus d’accorder un État palestinien indépendant et souverain en Cisjordanie et à Gaza, avec Jérusalem-Est comme capitale, est le contexte historique qu’il faut toujours garder à l’esprit. C’est la racine principale de l’insécurité actuelle et choquante d’Israël.

 

Biden a affirmé dans son discours que « le leadership américain est ce qui maintient le monde ». S’il ne comprend pas encore que la manière biaisée dont Washington a exercé son leadership au cours des dernières décennies est en train de déchirer le monde, alors c’est probablement un cas désespéré.

 

 

 

Biden s’est vanté : « L’ensemble de mesures de sécurité que j’envoie au Congrès et que je demande au Congrès d’adopter est un engagement sans précédent envers la sécurité d’Israël qui aiguisera l’avantage militaire qualitatif d’Israël. » Les Américains (notamment les contribuables) devraient savoir que les États-Unis déboursent déjà environ 3 milliards de dollars d’aide militaire annuelle à Israël.

 

L’« avantage militaire qualitatif » qu’une telle aide inégalée était censée soutenir fut un échec lamentable le 7 octobre, provoquant le plus grand nombre de victimes civiles israéliennes depuis la fondation de l’État en 1948.

 

Biden avait raison de souligner que « aussi difficile que cela puisse être, nous ne pouvons pas renoncer à la paix. Nous ne pouvons pas renoncer à une solution à deux États ». Malheureusement, c’était la seule véritable perspective politique sur le conflit israélo-palestinien qu’il a incluse dans son discours – et c’était trop peu.

 

Si Biden se soucie vraiment d’Israël, il devrait être prêt à présenter un plan clair pour faire de la « solution à deux États » une réalité. C’est le seul moyen raisonnable de parvenir à une sécurité réelle et durable pour Israël. Pour cela, il faudrait un véritable leadership américain. Malheureusement, Biden ne peut pas le faire parce que pendant des années, Israël a rejeté la perspective de deux États, bénéficiant du silence et de la complicité des États-Unis.

Depuis le début de la dernière guerre, les États-Unis ont bloqué une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à un cessez-le-feu et à la livraison d’une aide humanitaire aux Palestiniens, s’opposant au fait qu’elle ne mentionnait pas le droit d’Israël à se défendre.

 

À Tel Aviv, Biden a sagement conseillé à Israël de ne pas se laisser submerger par la colère, mais la politique américaine continue de protéger Israël – ce qui, à long terme, sera préjudiciable à la sécurité de l’État.

 

Avec la montée en flèche du nombre de victimes palestiniennes, un tel comportement américain ne peut être expliqué que par une faillite morale, typique d’une irréductible attitude impérialiste. Malheureusement, l’Europe répète cette politique tel un perroquet.

 

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Marco Carnelos