Le 21 décembre, Mohammed al-Kilani se trouvait dans son appartement du quartier de Cheikh Radwan, à Gaza, et accomplissait la prière de l’aube avec son père et son frère.

Les trois hommes avaient à peine entamé leur prière que la relative quiétude du petit matin a été brisée par le retentissement des armes lourdes qui visaient leur bâtiment.

« Les murs ont commencé à s’effondrer sur nous », raconte Mohammed al-Kilani, 45 ans, à Middle East Eye. « Nous ne savions pas quoi faire. Nous nous sommes tous cachés dans une pièce. »

S’y étant réfugiés au début de la guerre pour se mettre à l’abri des bombardements incessants d’Israël sur Gaza, les 55 membres de la famille de Mohammed al-Kilani vivaient tous à l’étroit dans l’appartement. Parmi eux, son épouse et ses enfants.

Mais le 21 décembre a marqué une intensification des bombardements israéliens sur Cheikh Radwan, et les tirs d’artillerie ont démoli ou sérieusement endommagé les murs du bâtiment.

La destruction a été rapidement suivie par l’irruption de soldats israéliens dans l’appartement. Le père de Mohammed, Hussein al-Kilani, est sorti à leur rencontre, levant les mains en signe de soumission et leur demandant ce qui se passait.

« Ils lui ont tiré une balle en plein cœur. Il est mort sur le coup », raconte Mohammed al-Kilani.

L’un des fils de Mohammed, âgé de 12 ans, se trouvait juste derrière son grand-père.

« Ils ont lancé une bombe sur son abdomen. Ses intestins se sont répandus sous mes yeux. Il a été tué. »

Quand la famille a exprimé sa émotion devant ce qui s’était passé, un soldat israélien a tiré une autre balle sur le corps sans vie du garçon.

« Les soldats nous ont alors ordonné d’enlever tous nos vêtements, y compris nos sous-vêtements », poursuit Mohammed al-Kilani.

« Ils ont séparé les hommes d’un côté et les femmes de l’autre. Ma femme tenait le Coran lorsqu’ils nous ont fait sortir de la pièce. Un soldat lui a dit de le jeter. Elle a refusé. Il lui a tiré dans le dos et la balle a traversé son abdomen. »

L’un des autres fils de Mohammed al-Kilani a été blessé par la grenade qui a tué son frère aîné, tandis que ses sœurs ont également été touchées par les éclats du projectile. Le garçon a reçu par la suite 50 points de suture à la jambe.

Après avoir été empêchés de s’approcher des corps de leurs proches tués, Mohammed al-Kilani et les survivants de sa famille ont été forcés de marcher nus en file jusqu’à la mosquée voisine, avant que les soldats israéliens ne mettent le feu à l’appartement.

« Ils nous ont ordonné de sortir, avec les femmes, sans nourriture, vêtements ou argent, puis ils ont brûlé l’appartement. Nous sommes descendus au sous-sol, complètement nus, avant qu’ils ne nous emmènent à la mosquée près de la maison », précise le père de famille à MEE.

« Ils sont venus me chercher, ainsi que mon fils Khamees, âgé de 19 ans. Ils nous ont attaché les mains et bandé les yeux, puis ils nous ont emmenés en camion dans une zone frontalière près de la mer. Nous ne savions pas exactement où nous étions, nous avions les yeux bandés », poursuit-il.

Interrogé par Middle East Eye, un porte-parole de l’armée israélienne a déclaré : « En réponse aux attaques barbares du Hamas, les FDI (Forces de défense israéliennes) s’emploient à démanteler les capacités militaires et administratives du Hamas. Contrairement aux attaques intentionnelles du Hamas contre des hommes, des femmes et des enfants israéliens, les FDI respectent le droit international et prennent les précautions possibles pour atténuer les dommages subis par les civils. »

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Mohammed al-Kilani raconte que pendant environ 24 heures, les soldats israéliens se sont « relayés » pour les torturer et les humilier, lui et son fils, tout en empêchant les plus âgés de la famille d’utiliser les toilettes ou de boire de l’eau.

« Ils nous ont torturés en nous enfonçant du verre et des clous dans les pieds et en nous laissant nus sur le rivage, de sept ou huit heures du matin jusqu’à plus de deux heures du matin [suivant]. Nous avons été laissés sans nourriture, sans eau et sans rien qui puisse nous protéger du froid », témoigne-t-il.

L’homme de 45 ans affirme que si lui ou son fils bougeaient, les soldats les frappaient dans le dos avec leurs armes.

« Ils se relayaient. Tout soldat qui passait devant nous nous frappait. Ils refusaient de nous laisser aller aux toilettes ou boire. Il y avait de nombreuses personnes âgées parmi nous. L’une d’elles a dit à un soldat être diabétique et le soldat lui a dit de s’uriner dessus. Ils nous insultaient avec des mots très violents. L’humiliation que nous avons subie dépasse tout ce que nous avons pu voir dans notre vie. »

Durant leur détention, Mohammed al-Kilani et les autres membres de la famille qui l’accompagnaient, tous des hommes, n’ont cessé de penser à leurs enfants qui avaient été tués dans l’appartement et de se demander qui allait bien pouvoir les enterrer.

Mohammed al-Kilani a été détenu pendant environ 24 heures. Depuis sa libération, il est sans nouvelles de son fils de 19 ans, qui était détenu avec lui.

« Je ne sais pas s’il est vivant ou mort », déclare-t-il.

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Un schéma d’« exécutions » qui se répète

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Le 27 octobre, l’armée israélienne a lancé une invasion terrestre dans les zones urbaines, les rues et les quartiers densément peuplés de la bande de Gaza.

Depuis, Middle East Eye a rapporté plusieurs cas de prise d’assaut d’habitations de civils par l’armée israélienne et d’exécution de membres des familles qui s’y trouvaient, traumatisant les survivants.

Le 21 décembre, le jour où Mohammed al-Kilani et sa famille ont été attaqués, des soldats israéliens ont fait irruption au domicile de la famille Khaldi à Cheikh Radwan à Gaza, le même quartier que les Kilani, tuant toutes les personnes présentes en l’espace de quelques minutes. Les soldats ont laissé derrière eux un seul survivant, Moemen Raed al-Khaldi, qui s’est vidé de son sang pendant des jours avant d’être trouvé par des voisins et transporté à l’hôpital.

Le lendemain, toujours dans le même quartier, Faisal Ahmed al-Khaldi, âgé de 6 ans, a survécu à un incident similaire. Les soldats israéliens ont abattu ses parents devant ses yeux, dans la maison de son oncle.

« Nous étions à la maison et le char d’assaut était [stationné] près de la porte de l’immeuble. Une nuit, ils ont enfoncé le portail et fait irruption. La porte [de l’appartement] de mon oncle Mohammed était fermée à clé, ils l’ont cassée et sont entrés. Ils ont tiré sur tout le monde dans la chambre d’amis », a confié Faisal à MEE.

« Nous étions en train de dormir, j’ai entendu leur [bruit], alors j’ai demandé à maman : ‘‘Quel est ce bruit ?’’ Elle m’a répondu : ‘‘Ce sont des Israéliens.’’ À peine avait-elle dit cela qu’ils lui ont tiré dessus, puis ils ont tiré sur papa. »

Une semaine plus tard, à quelques kilomètres de là, des soldats israéliens ont exécuté Kamel Mohammed Nofal, 65 ans, retraité de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), sous les yeux de son épouse et de ses enfants adultes handicapés, alors qu’« il essayait de leur expliquer que ses enfants ne pouvaient pas comprendre les instructions », a rapporté un de ses proches, Jamal Naim, à MEE.

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Fuir Cheikh Radwan

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Alors que l’invasion terrestre de Cheikh Radwan s’intensifiait, les familles palestiniennes ont cherché à s’enfuir, mais n’ont trouvé aucun abri ailleurs.

Odai Ayman Deeb, originaire du quartier, a fui sa maison pour se rendre à al-Saraya, près de la zone d’al-Rimal, dans le centre de Gaza.

Le quartier, où se trouve l’hôpital al-Wafa, a été assiégé par les Israéliens, qui ont pris d’assaut l’immeuble dans lequel Odai Ayman Deeb et sa famille s’étaient installés le 20 décembre. Les soldats ont séparé les hommes et les femmes et regroupé les dix-sept hommes de la famille dans le couloir de la maison, laissant les femmes dans une pièce.

« Ils ont pris nos pièces d’identité et nos noms. Nous étions tous des civils, bien sûr, personne n’était membre de la résistance », indique Odai Ayman Deeb à MEE.

« Après leur avoir présenté nos pièces d’identité, ils ont exécuté quinze personnes, dont mon père et ma sœur, une enfant de trois ans. Le soldat lui a tiré une balle dans la jambe et elle a été blessée au cou par des éclats de projectiles… Ils ont tiré dans les jambes de mes frères, avant de les rassembler dans la chambre d’amis et de leur tirer dessus. Ils ont tous été blessés. »

Odai Ayman Deeb, 20 ans, saignait de la tête et du corps, mais a survécu malgré la « torture pratiquée [contre lui et les siens] ».

Comme les forces israéliennes étaient encore dans les rues du quartier, lui et les survivants de sa famille ont dû garder les cadavres de leurs proches à l’intérieur de l’appartement jusqu’à ce que l’armée quitte la zone quelques jours plus tard.

« Après la levée du siège [de notre quartier], nous nous sommes rendus au complexe [médical] al-Chifa pour y être soignés », explique Odai Ayman Deeb à MEE.

« Nous sommes ensuite retournés chercher les corps de mon père et de ma sœur. Nous les avons enterrés, tandis que le reste de mes frères et sœurs reçoivent encore des soins. »