
Syrie : Quand les églises sont bombardées, c’est la mémoire d’un peuple que l’on vise … Morhaf mino
En Syrie, la guerre n’a pas seulement dévasté des villes et des corps. Elle a aussi ciblé les symboles, les croyances et les mémoires. Pendant que les bombes tombaient sur les quartiers, des lieux de culte chrétiens – parfois millénaires – étaient réduits en ruines, dans un silence quasi total des institutions religieuses.
Entre 2011 et 2020, plus de quarante églises ont été visées ou endommagées dans plusieurs régions syriennes, notamment à Homs, Damas-campagne, Alep, Idleb, Deir ez-Zor ou encore dans la région du Wadi al-Nassara, selon des témoignages et recensements croisés. La majorité de ces attaques sont attribuées aux forces du régime syrien, en dehors des destructions revendiquées par des groupes extrémistes comme Daech.
Parmi les édifices touchés figurent des lieux emblématiques du patrimoine chrétien syrien : l’église Um al-Zennar à Homs (ciblée sept fois), le monastère Sainte-Thècle à Maaloula, ou encore la cathédrale Saint-Élie à Alep.
Derrière les pierres, des symboles effacés
Bombarder une église en pleine guerre n’est pas un acte neutre. Il s’agit d’un effacement symbolique. Comme l’analyse un texte publié récemment par un intellectuel franco-syrien :“Qualifier un individu de décadent ou arriéré à cause de son appartenance religieuse ou sociale, c’est la première étape de son assassinat symbolique.”
L’éradication des églises participe d’une stratégie plus large : celle qui consiste à exclure certains groupes du récit national, à nier leurs souffrances, à les effacer de la mémoire collective. Ce n’est pas un simple “dégât collatéral”. C’est un choix politique et idéologique.
Silence ecclésiastique et indignation populaire
Ce qui a choqué de nombreux Syriens, c’est le mutisme – voire l’alignement – de plusieurs figures religieuses chrétiennes durant cette période. Une jeune chrétienne syrienne, qui a récemment publié une liste documentée des églises bombardées, dénonce ce “silence honteux” : “Quand nos églises étaient visées, beaucoup de nos chefs religieux se couchaient sous la botte du régime.”
Ses mots ont provoqué une onde d’émotion sur les réseaux sociaux, relançant le débat sur la mémoire sélective de la guerre et sur l’effacement des douleurs spécifiques vécues par certaines communautés.
Une justice encore en attente
Des rapports internationaux – notamment de l’ONU et d’ONG comme Christian Solidarity International – confirment l’utilisation de sites religieux comme cibles militaires ou bases de lancement par les forces gouvernementales. Pourtant, à ce jour, aucun procès, aucune enquête officielle n’a été ouverte pour établir les responsabilités.
Comme le rappelle un passage poignant du texte cité plus haut :“La véritable patrie ne commence pas dans les frontières ou les slogans. Elle commence par une reconnaissance sincère de la tragédie, par une égalité constante et par un refus total de toute hiérarchie imposée par le pouvoir ou le sectarisme.”
Les cloches de nombreuses églises syriennes sont aujourd’hui muettes. Certaines ne sonneront plus jamais. Mais leurs ruines racontent une histoire qu’aucun régime ne pourra enterrer : celle d’un peuple qui, malgré la violence et l’effacement, continue de réclamer justice, dignité et reconnaissance.
paris



