
Manaf Tlass à Paris : la carte brûlée d’un jeu français voué à l’échec … ٠Morhaf Mino
Dans un timing qui suscite plus la suspicion qu’il n’apporte de solutions, Manaf Tlass a fait son apparition à Paris. Sa conférence a des allures de tentative désespérée de recycler une figure du passé, alors même que la nouvelle scène syrienne refuse tout retour en arrière. Tandis que certains s’affairent à décrypter les messages « modérés » de Tlass au nouveau pouvoir à Damas, ils omettent la question essentielle : à qui profite cette apparition, pourquoi maintenant, et surtout, pourquoi depuis Paris ?Les réactions à cette sortie oscillent entre deux lectures : celle d’un « signal international » adressé à Damas, et celle d’une simple manœuvre de Tlass pour attirer l’attention. Dans sa conférence, il a pris soin de formuler des critiques mesurées envers un pouvoir qu’il qualifie de « monochrome », tout en se laissant une porte de sortie en évoquant sa disposition à coopérer. Ce qui a filtré de l’événement confirme qu’il ne cherche pas la confrontation directe. Il tente plutôt de se positionner en « réformateur » de l’establishment militaire, s’appuyant sur sa prétention de commander 10 000 officiers déserteurs, prêts à bâtir une « armée nationale et laïque ».
Des analystes, comme le chercheur Fares Igo, estiment que Tlass aspire à un rôle à la tête d’un « conseil militaire » et qu’il pourrait trouver un écho auprès de la « bourgeoisie sunnite » et de certaines minorités inquiètes. D’autres, tel qu’Ahmed Mazhar Saadou, suggèrent que son apparition pourrait être une manœuvre de pression occidentale sur Damas après ses récentes erreurs, une thèse jugée plausible dans le contexte des alliances qui se forment contre le gouvernement de Damas.
Cependant, toutes ces analyses, qui tentent de lire entre les lignes, ignorent une vérité fondamentale : cette conférence ne peut être dissociée du contexte politique français.
Depuis l’arrivée au pouvoir du président Ahmed al-Charaa, la France mène une politique à double visage : d’un côté, elle reçoit le président syrien et signe des contrats économiques ; de l’autre, elle maintient son soutien militaire et politique aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS) dans le nord du pays, une démarche perçue par beaucoup comme une sape délibérée de l’unité nationale. Cet acharnement à jouer sur les contradictions et à tenter d’imposer une tutelle en liant son ouverture à des conditions politiques révèle une stratégie française visant à maintenir la Syrie dans un état d’instabilité, dans l’espoir de préserver une influence dans une région riche en pétrole, plutôt que de soutenir sa pleine stabilisation.
La France, dont les paris successifs en Syrie ont tous échoué, se retrouve aujourd’hui marginalisée. Après avoir longtemps investi dans le soutien aux forces kurdes pour déstabiliser le pays, la voilà qui cherche de nouvelles cartes, ou plutôt, qui repolit ses vieilles cartes brûlées.
Quel paradoxe de voir la France, qui se prétend soucieuse de l’avenir de la Syrie, autoriser une obscure association libanaise à organiser un événement pour un personnage comme Manaf Tlass. Le gouvernement français, avec ses services de renseignement, connaît parfaitement l’histoire sanglante de la famille Tlass, le rôle de son père Moustafa dans la consolidation d’un régime de terreur, et celui de Manaf lui-même, en tant que commandant de la Garde Républicaine qui a commis des atrocités au début de la révolution. Est-ce de l’ignorance, ou un mépris délibéré de l’histoire ?
Présenter aujourd’hui Tlass comme une figure « modérée » capable de bâtir une « armée laïque » relève de la fiction politique. Ses propositions de « conseil militaire » ne sont qu’un écho affaibli de projets passés qui ont échoué, et il leur manque l’ingrédient essentiel du succès : la crédibilité populaire. Tlass, dépourvu de toute base réelle en Syrie et haï par une grande partie des Syriens qui ont souffert sous un régime dont il fut un pilier, ne peut être le sauveur attendu.
Il possède peut-être un certain charisme, et peut trouver une oreille attentive auprès des vestiges de la vieille bourgeoisie sunnite ou de certaines minorités, mais cela ne fait pas de lui un leader national. Tenter de le présenter comme une alternative ou un levier de pression ne sert que l’agenda français, qui cherche à maintenir la Syrie dans l’instabilité dans l’espoir de s’arroger un rôle dans un futur règlement.
Le peuple syrien, qui a consenti d’immenses sacrifices pour tourner la page du despotisme, n’acceptera pas le retour des figures du passé sous de nouveaux masques. La tentative de Paris de jouer la carte Tlass n’est qu’une preuve supplémentaire de son incapacité à comprendre la réalité syrienne et de son obstination dans des politiques stériles qui ne produisent que plus de chaos. Elle confirme que la France n’est plus un acteur influent, mais un simple spectateur qui tente de faire du bruit en marge de la scène.
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٠Écrivain syrien à Paris



