« Déchainement de violences » entre un policier et deux hommes à Bois-Guillaume : légitime défense ou non ?

C’est une affaire très complexe qu’a eue à juger le tribunal judiciaire de Rouen. Celle d’une bagarre, datant de 2021, entre un policier, son fils et deux autres hommes. Récit.

Des coups de poing et de pieds

Le 2 janvier 2021, la police est requise à la Clinique du Cèdre à Bois-Guillaume pour « la présence d’un homme armé se présentant comme un fonctionnaire de police ».

Sur place, il confirme être policier. Il explique qu’il patientait avec son fils, lui-même élève-officier de police pour réaliser un test PCR lorsqu’il s’est fait doubler dans la file d’attente. Il indique avoir alors adressé une remarque aux individus qui, en réponse, lui aurait donné des coups de poing et de pieds. Il indique alors que sous ce flot ininterrompu de violences, il a annoncé sa qualité de policiers et a dégainé son arme de service.

L’un des agresseurs présumés a alors pris la fuite, tandis que le second a été interpellé par le policier et son fils. Ce dernier a reçu de nombreux coups au visage.

Que s’est-il passé ?

Interpellés et placés en garde à vue, les deux hommes confirment avoir rejoint la file d’attente et que le policier leur aurait demandé de faire la queue comme tout le monde avant d’asséner à l’un d’entre eux (H. l’un des prévenus) un violent coup de tête au visage :

Les deux mis en cause expliquent alors avoir répondu à l’agression du policier jusqu’à ce que ce dernier exhibe son arme. H. dit avoir pris la fuite. Il assure qu’il ne savait pas que la victime était policier. A., lui, indique avoir reçu à plusieurs reprises des coups de crosse sur le crâne de la part de ce policier et n’avoir découvert ses fonctions que lorsque son fils est allé chercher dans le sac de son père « les menottes et un brassard police ».

Face à ces versions totalement divergentes, les enquêteurs exploitent la vidéosurveillance. Elle permet de confirmer que le policier est bien à l’origine de la rixe « en portant un coup de tête à H. » puis s’ensuivent des violences importantes « y compris lorsque les victimes sont au sol » avant que le policier exhibe son arme de service et ne mette en joue l’un des agresseurs.

Au total, les policiers relèvent que les mis en cause ont porté plus d’une dizaine de coups à chacune des victimes « de façon déterminée et avec acharnement ».

Des témoins sont entendus. Tous confirment que le policier « a donné le premier coup ». Certains d’entre eux indiquent avoir douté de la qualité de policier : « On a pensé à un déséquilibré exhibant une arme, son comportement ne ressemblait pas à celui d’un policier ».

Examinées par un médecin, les victimes écopent chacune d’une incapacité totale de travail de 15 jours et souffrent de fractures, pour l’un au nez et pour l’autre de l’os péri-orbital.

En raison de la complexité de l’affaire, le Procureur de la République ordonne l’ouverture d’une information judiciaire. À l’issue de leur interrogatoire devant le juge d’instruction, H. et A. sont mis en examen pour violences aggravées et placés sous contrôle judiciaire. De son côté, le policier a lui été poursuivi et condamné par le tribunal de police pour violence et condamné le 11 janvier 2022 à une amende de 1 000 euros dont 500 avec sursis, « le tribunal ayant rejeté la légitime défense » résume la juridiction.

C’est dans ces conditions que comparaissent les prévenus âgés respectivement de 22 ans. Tous deux sont parfaitement insérés et présentent de légers antécédents judiciaires.

Légitime défense ou non ?

À la barre, ils reconnaissent les violences mais assure avoir agi en état de légitime défense : « J’étais venu pour un test PCR, on a été en aucun cas violent verbalement ou physiquement et il m’a porté un coup de tête au nez, j’ai alors répondu et me suis défendu ». Interrogé sur les violences commises « lorsque les victimes étaient au sol », H. explique :

Dans le feu de l’action, c’était lui ou moi, il a exhibé une arme sans indiquer qu’il était policier, on ne savait pas à qui on avait à faire.

H.prévenu

Plus discret, A. indique lui aussi avoir agi en état de légitime défense « pour venir en aide à son ami qui se faisait étrangler ». Il explique avoir été marqué par cette agression : « Je ne savais pas s’il allait tirer ou non avec son arme, j’ai eu très peur ».

« Disproportion »

Absentes à l’audience, les victimes sont représentées par leur conseil qui s’offusque de « l’inversion des rôles » dans le discours des prévenus à l’audience. Il souligne le déchaînement de violences que ses clients ont vécu « pour une remarque ». Il rappelle à la juridiction les conséquences très lourdes de cette agression : « L’un doit subir une intervention chirurgicale de la cloison nasale et l’autre a perdu de l’acuité visuelle ».

Du côté du ministère public, on estime que les conditions de la légitime défense ne sont pas remplies : « En assénant des dizaines de coups aux victimes, il y a bien disproportion de leur part ». Il requiert la peine de deux ans d’emprisonnement dont un avec sursis.

Sur les bancs de la défense la riposte s’organise. Le conseil d’H. plaide la légitime défense et estime au contraire que les prévenus ont agi de manière proportionnée à l’agression qu’ils ont subi. Il rappelle au tribunal que son client, « sans aucune explication a été victime d’un coup de tête au nez avant de finir au sol et d’être étranglée par un homme qui exhibe ensuite une arme de poing sans décliner sa qualité de policier. Il a été contraint de répondre par des coups de pieds et de poings ». Il sollicite la relaxe de son client ou que la responsabilité du policier soit retenue à hauteur de 90 % : « Si cette rixe démarre c’est de sa faute ».

Son confrère s’associe à cette conclusion. « En leur qualité de policiers, détenant le monopole des violences légitimes, ils se doivent d’être encore plus exemplaires, ce qui n’a pas été le cas, ce policier a manqué de sang-froid ». Pendant de longues minutes, l’avocat égraine les éléments démontrant que la victime a « délibérément menti » aux enquêteurs en disant « avoir été agressé » avant de revenir sur ses propos « face à la vidéosurveillance ». Il conteste fermement le terme « lynchage » : « il y a eu des coups de part et d’autre » et rappelle l’une des déclarations du policier lors d’un interrogatoire : « ces jeunes-là je les connais, il faut frapper d’abord ». Il sollicite la relaxe de son client.

Le tribunal rendra sa décision le 13 décembre prochain.

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